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Mémoires d’un combattant
“Du fond du cœur, je souhaite qu’ils (les jeunes, ndlr) sachent s’inspirer de son exemple pour contribuer à bâtir l’Algérie de demain, celle dont Abdelhamid a rêvée et pour laquelle il combattit et vécut.”
En terminant en ces termes la préface consacrée au livre de Abdelhamid Benzine De notre histoire au quotidien Alger républicain 1989-1994, publié dernièrement aux éditions Chihab, Henri Alleg entrevoyait comme une lueur d’espoir en la nouvelle génération. Celle en qui Abdelhamid Benzine a fait confiance. Mais en sera-t-il déçu ? Dans ce cas-là la déception sera d’autant plus grande qu’elle le replongera, même à titre posthume dans les tristes années suivant l’Indépendance. Années pendant lesquelles ce militant acharné pour les libertés a été persécuté.
Cependant, Benzine n’en baisse pas pour autant les bras. La lutte qu’il a commencée dès son jeune âge, il l’a poursuivie jusqu’à sa disparition, survenue le 6 mars 2003. En outre, au moment où ses compatriotes faisaient recours aux armes, Abdelhamid Benzine, lui, se tourne vers la pratique du journalisme. Le meilleur moyen de lutter pour une Algérie indépendante et libre. Et c’est au journal Alger républicain qu’il a fait son chemin. Et dans le livre De notre histoire au quotidien Alger républicain, on retrouve l’ensemble de ses chroniques publiées entre 1989 et 1994.
En parcourant les 105 chroniques, qui s’étalent sur 267 pages, on retrouve le style de Benzine dans toute sa profondeur et splendeur. Il faut le dire, ce doyen de la presse nationale n’a jamais épargné “les pantins de la République”. “Lisant ou relisant ces textes, ils (les jeunes) se souviendront aussi du militant exemplaire qu’il fut pour son intégrité, son désintéressement, sa bonté et sa générosité, de l’écrivain de talent, du journalisme acharné à dire et à défendre la vérité, de l’internationalisme faisant siennes toutes les justes causes et jusqu’au bout, fidèle à son idéal d’un monde de paix, de justice et de fraternité, un idéal qui reste aussi celui d’un Alger républicain reparu”, écrit Henri Alleg.
Cette phrase résume d’ailleurs parfaitement le parcours de Abdelhamid Benzine et l’ensemble des chroniques qu’on retrouve dans De notre histoire au quotidien Alger républicain 1989- 1994.
Hakim C.
Hommage à un grand homme
Dans sa préface, Henri Alleg écrit qu’ «il s’agit ici d’un hommage hautement mérité rendu à un combattant dont la vie et l’action n’auront jamais été guidées par une autre ambition que celle de servir son peuple et l’idéal d’une humanité enfin libérée de tous les maux légués par un passé d’exploitation et d’oppression». Grand ami du défunt, il ajoute «Je ne peux écrire ces lignes sans me souvenir avec émotion de l’arrivée de Abdelhamid au journal et de la place de premier plan qu’il prit aussitôt dans son équipe, particulièrement dans les premières années d’indépendance».
Tel que l’écrivait Benzine en 2001 «ces quelques années 1989-1994 sont particulièrement chargées du point de vue de l’histoire de notre pays. Ce fut, pour ceux qui s’en souviennent, la période qui vit la conquête encore fragile des premières libertés démocratiques…». D’où le choix d’articles phares parus durant cette période et signés de la plume de cet illustre intellectuel.
Dans «Fidélité à l’avenir», premier article datant du mois d’août 1989, Abdelhamid Benzine entame la renaissance de son journal avec toute la foi que le plus optimiste des hommes pourrait avoir en l’avenir. Il écrit d’ailleurs : «Renaître en ce moment même est peut-être un bon présage pour l’avenir. Mais, les bons présages sont comme les rêves généreux : ils sont réalisables si on y met la science et la foi supportées par l’action persévérante de chacun et de tous».
Puis arrive le second article, paru beaucoup plus tard, en mai 1991. Benzine, avec sa plume avertie, traitera d’une question de politique internationale, à savoir «l’ingérence internationale des Etats-Unis au nom de la sauvegarde des intérêts américains», en usant d’un style où la dérision trouve toute sa latitude.
Deux articles, le premier intitulé Salut l’artiste et le second Bachir sont des hommages à deux porte-flambeaux de la culture algérienne, l’artiste peintre Mohamed Khedda et le poète Bachir Hadj Ali. Benzine, avec des mots justes, dépeint toute la grandeur de ces intellectuels, partis presque en même temps.
Ces morts douloureuses lui font écrire : «Terrible destin pour le sexagénaire que je suis : parler de ses amis morts qui restent plus vivants que lui…».
En 2003, Abdelhamid Benzine les a rejoints. Tout comme eux, il nous a laissé un legs aussi précieux qu’un trésor. Des écrits d’une grande lucidité et criants de vérité. Car, en tant qu’ancien combattant de la guerre de libération et témoignant de son engagement politique, ses récits sont des lanternes éclairées pour une meilleure connaissance de la lutte du peuple algérien pour l’indépendance de son pays et de l’engagement des intellectuels algériens dans cette lutte pour le recouvrement de la liberté.
Cet ouvrage dont les thèmes sont d’un grand éclectisme nous rappellent l’esprit généreux de ce grand journaliste, qui n’a jamais omis d’insuffler, ne serait-ce qu’une once d’humanisme à ses écrits, aussi complexes que puissent en être les sujets.
Une autre leçon à prendre comme exemple pour nous, journalistes.
Hassina A.
HENRI ALLEG RACONTE ABDELHAMID BENZINE
“...Dès l’âge de quinze ans, refusant l’oppression coloniale et brûlant de se battre pour l’indépendance, il adhère au Parti populaire algérien (PPA), alors interdit, de Messali Hadj. En mai 1945, au moment des massacres perpétrés dans le Constantinois par les troupes coloniales, il est arrêté. Il découvre alors, en même temps que son ami de jeunesse, Kateb Yacine, retrouvé plus tard à la rédaction d’ Alger républicain, la prison et les camps, le mépris des gardiens, les insultes et les coups.
Après une année d’études à l’Université arabe de Tunis (Zitouna), il commence une nouvelle vie — celle de clandestin permanent — partagée avec des hommes dont les noms, Larbi Ben M’hidi, Mourad Didouche, Abbane Ramdane, Zighout Youcef, symbolisent aujourd’hui, pour les Algériens, l’héroïsme du combat pour la liberté. En 1950, Benzine est intégré à la direction de la Fédération de France du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques et version légale du PPA) où il est chargé des affaires sociales.
Élu en tant que représentant algérien à la direction de l’union départementale des syndicats CGT de la région parisienne, il participe aux travaux de la commission administrative, aux côtés de dirigeants comme Benoît Frachon, Eugène Hénaff, André Tollet et Henri Krasucki. C’est avec eux et parmi les travailleurs français qu’il apprend ce que sont la lutte de classe et la solidarité ouvrière, une solidarité qui dépasse les frontières et promet la naissance d’un monde nouveau et fraternel.
Conquis par l’idéal communiste, Benzine rompt avec Messali et, de retour en Algérie, adhère au PCA où il milite avec les dockers de la cellule du port. Après l’interdiction d’ Alger républicain, il rejoint le maquis et l’Armée de libération nationale. Fait prisonnier par l’armée française, il connaît les cachots de la prison de Lambèse et les sinistres camps “spéciaux” qu’il décrira dans ses livres, Lambèseet Le Camp, puissants et poignants témoignages.
L’indépendance proclamée, il reprend, cette fois comme rédacteur en chef, sa place dans Alger républicain devenu, de très loin, le plus grand quotidien du pays, jusqu’au moment où le coup d’État de juin 1965 interdira sa publication. Une fois de plus, Benzine, comme ses camarades du PCA — qui deviendra le PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste) puis PADS (Parti algérien de la démocratie et du socialisme) — et comme d’autres militants venus du FLN, affronte la dure vie de la clandestinité.
Il faudra attendre décembre 1989 — près de vingt-cinq ans ! — pour que le journal reparaisse. Mais la liberté de ton d’Alger républicain reprenant sous sa direction, avec une nouvelle équipe, le combat pour la défense des acquis sociaux de l’indépendance, face à la corruption, à l’intolérance et aux crimes de l’intégrisme, dressera contre lui toutes les forces hostiles à la démocratie et au progrès et imposera à nouveau le silence au journal à partir d’avril 1994.
Cependant, peu de temps avant de mourir, en ces temps d’angoisse devant la guerre menaçante et l’agressivité impérialiste, Benzine aura connu l’ultime joie d’apprendre que des militants plus jeunes, inspirés par la même soif de vérité, de justice, de fraternité et de paix qui, sa vie durant, guida son action, veulent reprendre le flambeau.”
H. A.
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